Les critères d’une transition énergétique porteuse de justice sociale

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Préambule

Reconnaissant les crises écologiques, énergétiques mais aussi sociales et économiques, qui se nourrissent les unes des autres, et considérant l’aggravation exponentielle de la situation, le FCTÉ considère que tout délai nous impose un contexte de plus en plus difficile. Il est donc impératif d’amorcer dès maintenant les virages nécessaires. Il y a urgence d’agir.

Le FCTÉ convient que la transition énergétique, élément incontournable du vaste mouvement de la nécessaire transition écologique, doit être porteuse de justice sociale. Il faut non seulement viser une réduction des émissions de GES, mais également une diminution de toutes formes d’inégalités sociales. La redéfinition de nos relations doit cultiver les soins au bien commun, aux éléments qui constituent les conditions nécessaires à la vie telle que nous la connaissons, telles l’eau, l’air et la terre.

Nous ne voulons pas d’une transition énergétique néolibérale concourant à la marchandisation et à la privatisation tous azimuts, à l’accroissement de l’exploitation des humains et du vivant et à la dépossession généralisée au profit des plus riches. Nous reconnaissons que c’est la tendance actuelle.

Nous considérons que la transition énergétique n’est pas seulement technologique. Une transition énergétique porteuse de justice sociale suppose que l’on revoie en profondeur plusieurs pans de l’activité humaine, particulièrement le modèle économique, les modes de production et de consommation. Elle implique des changements de valeurs, de normes sociales et de mode de vie importants qui passent notamment par des campagnes d’éducation d’une ampleur sans précédent.

Reconnaissant que les bouleversements climatiques sont enclenchés, il est clair que des mesures d’adaptation doivent aussi être mises en oeuvre et ce en respectant les mêmes paramètres cités ci-bas dans une perspective de justice sociale. L’urgence est réelle, agissons ensemble et au mieux, dès maintenant.

NB : L’ordre dans lequel ces différents critères sont présentés ne reflète en rien une hiérarchisation de ces derniers. Au contraire, le FCTÉ préfère mettre de l’avant l’interdépendance de tous, chacun étant relié aux autres.

Les critères

Réduire les émissions de GES  

Tous les efforts nécessaires doivent être effectués pour limiter l’élévation de la température moyenne de la planète en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C, afin d’éviter les pires conséquences des changements climatiques. Donc, entre autres :

  • Nous nous opposons aux projets d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures ainsi qu’à tout nouveau projet de transport d’hydrocarbures;
  • Tous les projets d’infrastructure et de développement économique doivent répondre à un test climat rigoureux reposant sur des bases scientifiques solides, crédibles et reconnues, et ce pour l’ensemble du cycle de vie lié à la fabrication, l’usage et selon la fonction de la production envisagée;
  • Dans une perspective de responsabilité climatique, la transition énergétique doit non seulement viser une réduction des émissions de GES produites au Québec et au Canada, mais également des émissions indirectes dues à la consommation, c’est à dire tenir compte de ce qui est produit et comptabilisé ailleurs mais consommé ici, ainsi que ce qui est produit ici et consommé ailleurs.
Aspirer à des changements ambitieux

Des transformations majeures, comportant leur part d’imprévisibilité, sont à mettre en œuvre afin d’effectuer la transition vers une société sobre en carbone. Ces transformations nécessitent notamment :

  • Une refonte du rôle de l’État et de l’intervention publique en faveur du bien commun;
  • Une politique de transition énergétique porteuse de justice sociale globale et intégrée avec différents plans d’actions sectoriels et régionaux;
  • Des transformations profondes du modèle économique et des modes de vie, notamment quant à la consommation et aux manières de remplir les besoins de base.
Demeurer critiques faces aux technologies émergentes

Les corollaires et effets collatéraux, tant environnementaux que sociaux ainsi que les “externalités” doivent être intégrées dans l’analyse des options technologiques, projets ou produits. Avant tout, des efforts de réduction à la source doivent être priorisés et nous ne devons accepter aucun attentisme, notamment basé sur un mirage technologique. La vigilance s’impose face aux nouvelles technologies, notamment au regard:

  • des risques posés à l’environnement et au respect des droits humains;
  • de leur potentiel de développement en temps utile;
  • du principe de précaution qui doit s’appliquer aux technologies du climat, et ce malgré l’urgence réelle.
Intégrer des analyses systémiques

Dans une perspective de justice sociale, des analyses systémiques et reconnaissant l’intersectionnalité, doivent être appliquées aux différentes sphères d’activités du FCTÉ. Une attention particulière doit être portée à ce que les mesures de transition énergétique soient émancipatrices, notamment en incluant les communautés dans les processus de façon transversale:

  • les mesures de transition énergétique doivent  participer à l’amélioration des conditions de vie des personnes et communautés actuellement défavorisées;
  • Dans une optique anticoloniale, les luttes des peuples autochtones et des allochtones en alliance contre les différents projets de développement d’hydrocarbures et autres qui menacent leur environnement et leur souveraineté doivent être appuyées le plus concrètement possible;
  • Le FCTÉ s’engage à faciliter des processus collaboratifs d’élaboration des positions intégrant ces analyses avec les communautés concernées.

Respecter les droits humains

Tous les droits humains doivent être respectés selon le principe d’interdépendance des droits (les droits se renforcent mutuellement).On doit évaluer l’impact potentiel des mesures de transition sur l’ensemble des droits, particulièrement des groupes vulnérables et victimes d’exclusion et de discrimination. Les textes suivants doivent être respectés dans leur entièreté :

  • Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels;
  • Pacte international relatif aux droits civils et politiques;
  • Déclaration des nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Réaliser une transition juste, pour les communautés, les travailleurs et travailleuses

La transition énergétique constitue une occasion de transformations majeures dans le monde du travail, incluant le travail non-salarié ou non-rémunéré, et ce bien au-delà du secteur de l’énergie. Il importe de faire en sorte que la transition énergétique n’aggrave pas la précarisation du travail et s’avère plutôt porteuse de dignité pour les travailleuses, les travailleurs ainsi que leurs communautés:

  • Les gouvernements doivent mettre en œuvre des politiques industrielles et des politiques sociales et de l’emploi qui respectent les nécessités écologiques et sociales;
  • Le travail non rémunéré ou non salarié doit être considéré comme faisant partie du monde du travail;
  • Une recherche d’équité dans l’accès aux ressources nécessaires à la dignité devrait être cultivée hors de la reconnaissance exclusive par l’emploi;
  • On doit accélérer le remplacement des emplois dans les secteurs à haute intensité d’émissions de GES par des emplois de qualité dans les secteurs contribuant à la décarbonisation et à l’écologisation de l’économie ou dans d’autres secteurs qui contribuent au déploiement d’une transition porteuse de justice sociale;
  • Les travailleuses et travailleurs doivent non seulement être informé-e-s des transformations nécessaires, mais doivent pouvoir prendre part activement aux décisions concernant leur milieu de travail et l’évolution du monde du travail;
  • Ces emplois de qualité doivent minimalement satisfaire aux critères du travail décent tels qu’établis par le Bureau international du travail;
  • Les travailleurs et les travailleuses des secteurs lourds en GES ainsi que les communautés concernées, ne devraient pas assumer seul-e-s le fardeau d’un tel virage. Aussi, des programmes de formation doivent notamment être offerts pour favoriser le développement des compétences et soutenir la sécurisation des parcours professionnels.
Démocratiser la transition  

Des processus démocratiques valables doivent être au coeur de la vision, de l’élaboration et de la mise en oeuvre d’une transition porteuse de justice sociale.

  • Les communautés et les organisations doivent être présentes aux divers paliers de décisions, et ce en tant que parties prenantes.
  •  Des ressources adéquates doivent être allouées afin de favoriser l’équité et la participation de tous-tes les organisations et personnes concerné-e-s.

  • Une information indépendante permettant des prises de positions libres et éclairées de la part des différents acteurs concernés doivent être disponibles en temps utile.
  • Des mesures éducatives diversifiées doivent être prises pour favoriser l’appropriation des enjeux par les citoyen-ne-s
  • Des processus spécifiques doivent être ancrés dans les différentes régions
Respecter la biodiversité

Déjà éprouvée, la biodiversité doit être hautement considérée dans toutes les décisions relatives à une transition énergétique porteuse de justice sociale, y compris la réduction des émissions de GES.

  • Des analyses d’impacts écologiques ainsi que de cycles de vie et le respect du principe de précaution sont des minimums.
  • Les mesures de transition énergétique devraient intégrer une amélioration des conditions propices à la biodiversité.
  • Reconnaissant l’interdépendance intrinsèque des éléments écosystémiques, les mesures de transition énergétique devraient s’intégrer au niveau de l’aménagement du territoire.
  • Nos relations aux écosystèmes que nous habitons devraient être revisitées en profondeur
Chercher la cohérence financière

La priorité accordée à une transition énergétique porteuse de justice sociale doit se refléter dans les choix financiers. Il est ici question notamment de l’argent public et des fonds de retraite, mais aussi des autres instances financières.

  • Une politique économique établissant clairement le caractère incontournable du bien commun, de la résilience des communautés, de la stabilisation de l’économie de manière à réduire la probabilité de chocs dévastateurs pour les populations ainsi que des mesures de protection pour les plus vulnérables doit être implantée
  • Une fiscalité favorisant les secteurs porteurs des changements souhaités doit être mise en place. Cela implique:  
    • le retrait de tout type de soutien gouvernemental, fiscal et autres au secteur des énergies fossiles.
    • un réinvestissement massif doit être orienté vers une transition réellement appropriée à la situation.  
    • une redistribution équitable des ressources financières.
Reconnaître les responsabilités communes mais différenciées

Des peuples et des États subissent et subiront de plein fouet les conséquences des changements climatiques en disproportion de leur responsabilité. Les principaux responsables du phénomène et bénéficiaires d’un passif colonial doivent contribuer davantage aux efforts tant de réduction des émissions que de transition énergétique.

  • Une reconnaissance de ce fait doit se traduire par du soutien concret aux efforts de transition énergétique et d’adaptation aux changements climatiques des peuples et états affectés en disproportion de leur contribution aux changements climatiques;
  • Les modalités de mouvement des personnes, notamment les droits migratoires, doivent considérer les contextes climatiques et environnementaux en général.