Lettre au Cabinet : Rejeter Baie du Nord et se concentrer sur une transition équitable pour Terre-Neuve-et-Labrador

Le très honorable Justin Trudeau, premier ministre

L’honorable Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique

L’honorable Jonathan Wilkinson, ministre des Ressources naturelles du Canada

L’honorable Chrystia Freeland, vice-première ministre et la ministre des Finances

c.c. tous les membres du Cabinet

Nous vous écrivons aujourd’hui pour vous faire part de notre vive inquiétude concernant le projet pétrolier extracôtier Bay du Nord (BdN), propriété d’Equinor et de Husky Energy, qui fait actuellement l’objet d’un examen par le Cabinet. Ce projet est incompatible avec les engagements nationaux et mondiaux du Canada en matière de climat, contredit l’engagement du Canada à plafonner les émissions du secteur pétrolier et gazier, se fonde sur une étude d’impact environnemental (EIE) gravement déficiente et ne fournit pas à Terre-Neuve-et-Labrador le soutien nécessaire pour assurer la transition des travailleurs vers une économie prospère et propre.

Nous demandons au gouvernement fédéral du Canada de rejeter ce projet et de collaborer immédiatement avec la province de Terre-Neuve-et-Labrador afin de mettre en place une transition équitable et juste pour s’éloigner des combustibles fossiles.

Incompatibilité avec les engagements du Canada en matière de climat

Le projet Bay du Nord (BdN), s’il est construit, produira jusqu’à 73 millions de barils par an pendant 30 ans. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) de portée 1, 2 et 3 seraient équivalentes à l’ajout de 7 à 10 millions de voitures à essence sur les routes ou à la construction de 8 à 10 nouvelles centrales électriques au charbon. Ces mesures vont à l’encontre des recommandations formulées par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans son document novateur “Roadmap to Net Zero” et dans le scénario 1,5°C du World Energy Outlook, qui préconisent de mettre fin à l’expansion de la production et des infrastructures pétrolières, gazières et charbonnières et d’accélérer la transition mondiale vers les énergies renouvelables plutôt que de dépendre des combustibles fossiles.

Le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 à 45 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030 et à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Nous entendons souvent parler des difficultés rencontrées par le gouvernement pour atteindre ces objectifs. Approuver BdN, qui devrait produire du pétrole bien au-delà de 2050, fera reculer le Canada dans ses tentatives d’atteindre zéro émission nette. Le Canada ne sera pas en mesure d’effectuer une transition significative si nous continuons à aggraver le problème

Il est temps d’arrêter l’expansion de la production de pétrole et de gaz. Onze pays et gouvernements infranationaux ont lancé l’Alliance « Beyond Oil and Gas », s’engageant à ne plus développer l’exploitation du pétrole et du gaz. De plus, 2 800 scientifiques, 101 lauréats du prix Nobel ainsi que 170 parlementaires de 33 pays, dont plusieurs du Canada, ont endossé les principes du Traité de non-prolifération des combustibles fossiles. Et lors de la COP 26, le Canada s’est joint à près de 40 pays pour s’engager à mettre fin au financement public international des combustibles fossiles, ce qui met davantage en péril l’avenir de l’industrie.

Incompatibilité avec l’engagement du gouvernement du Canada à plafonner les émissions.

En 2021, le gouvernement du Canada s’est présenté sur la scène mondiale à la COP26 et s’est engagé à plafonner les émissions du secteur pétrolier et gazier au niveau actuel et à les réduire à zéro d’ici 2050. Il s’agit d’un engagement climatique admirable et le Canada sera le premier pays au monde à utiliser cet outil politique.

L’approbation d’un projet qui augmentera les émissions de GES au moment même où une politique est élaborée pour assurer la réduction des émissions remet en question la rigueur, l’ambition et l’efficacité du plafond d’émissions – une contradiction avec la promesse faite à Glasgow.

Défauts du processus d’évaluation environnementale

Ce projet a été examiné en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 et non de la Loi sur l’évaluation d’impact (LEA). Bien que le processus de la LEA comporte des lacunes, il exige que tous les projets soient évalués en fonction de leur impact sur les engagements climatiques du Canada. Comme indiqué ci-dessus, ce projet entrave sérieusement les engagements climatiques du Canada, mais ceux-ci n’ont pas été pris en compte dans l’évaluation environnementale (EE).

L’évaluation environnementale de BdN a été réalisée pour une production estimée à 300 millions de barils de pétrole : des estimations plus récentes font état d’une production plus de trois fois supérieure, avec des projections allant jusqu’à 1 à 1,3 milliard de barils. Cette augmentation aura une incidence sur les émissions de gaz à effet de serre en amont et en aval du projet, et modifiera également l’ampleur des impacts prévus du projet sur la vie marine.

L’évaluation environnementale du projet BdN indique qu’il permettra de réduire de 50% les émissions d’exploitation par rapport aux quatre autres plateformes de forage au large de Terre-Neuve. Cependant, aucune preuve n’a été fournie à l’appui de cette affirmation au-delà des mesures standard pour les plateformes de forage en mer (torchage, brûleurs à haut rendement, etc.).

Les émissions en aval, qui peuvent décupler la production totale de GES d’un projet lorsque le pétrole est effectivement brûlé, ne sont pas prises en compte dans l’EE.

Le rapport d’EE indique à tort que l’objectif climatique du Canada est « une réduction de 30% par rapport aux niveaux d’émission de 2005 d’ici 2030 », alors qu’en juillet 2021, le gouvernement a augmenté son objectif à une réduction de 40-45% par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030.

L’Agence d’évaluation d’impact du Canada a comparé les émissions du projet aux émissions totales du Canada en 2018. Une mesure plus pertinente serait que l’Agence considère les émissions du projet (en amont et en aval) par rapport aux émissions totales estimées du Canada en 2050, en supposant que les objectifs de zéro émission nette du pays soient atteints.

En janvier 2022, le Secrétariat canadien des avis scientifiques (SCAS) a publié la réponse scientifique 2022/003, qui examinait des sections spécifiques de l’ébauche d’étude d’impact environnemental (EIE) de Bay du Nord. Le rapport a révélé que l’EIE d’Equinor était biaisée, que ses conclusions étaient inappropriées et qu’elle n’était donc pas fiable pour la prise de décision. Les questions soulevées n’ont pas été résolues dans l’EIE finale, y compris (mais sans s’y limiter) :

Equinor n’a pas pris en compte les leçons tirées de la catastrophe de Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique, y compris le comportement des éruptions de puits de pétrole en eaux profondes.

Equinor a utilisé des informations trop simplifiées lors de la modélisation de l’impact d’une éruption en eau profonde et n’a donc pas réussi à projeter de manière adéquate les dépôts de pétrole dans les zones écologiquement sensibles.

Les conclusions scientifiques ont été copiées à partir des déclarations d’impact du Golfe du Mexique, de la mer Méditerranée et de la mer Adriatique, ce qui a augmenté l’incertitude de l’analyse et remis en question les résultats.

Bien que Pêches et Océans Canada (MPO) ait publié une lettre le 2 février 2022 indiquant que toutes les préoccupations scientifiques avaient été résolues, aucun document accessible au public ne montre comment ces préoccupations ont été traitées et il est clair, d’après la version finale de l’EIE, que la majorité des préoccupations n’ont pas été traitées. Il est également préoccupant que les commentaires de MPO n’aient pas été disponibles pendant le processus d’évaluation, ce qui a diminué la capacité des participants à s’engager efficacement dans l’évaluation environnementale.

Les plateformes de production actuelles au large de Terre-Neuve forent dans des eaux de 100 mètres ou moins. Compte tenu des risques accrus associés au forage à une profondeur de 1200m situé au-delà de la limite de 200 milles nautiques, l’absence de plan crédible pour faire face aux accidents et aux déversements expose la vie océanique et les pêches à des risques inacceptables. Il n’y a aucune obligation de forer un puits de secours de même saison et aucune cheminée de recouvrement à Terre-Neuve. Husky Energy est actuellement accusé par Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) et l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers d’avoir déversé environ 250 000 litres de pétrole en 2018.

Absence de soutien à une transition juste

Les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador ont réclamé une transition juste pour la province. Des milliers de personnes à Terre-Neuve ont défilé dans les rues pour une action climatique et des sondages récents ont montré un fort soutien majoritaire à Terre-Neuve pour une transition juste et un passage aux énergies renouvelables. 

Selon l’AIE, dans un monde qui se dirige vers zéro émission nette en 2050, la demande mondiale de pétrole culminera en 2025, ce qui remet en question la viabilité à long terme de ce projet. La transition des communautés qui dépendent actuellement de l’exploitation du pétrole et du gaz doit se faire avec respect et en temps voulu. Il doit s’agir d’une transition planifiée, et non d’une réponse ad hoc lorsque la demande ralentit et que les prix chutent. Le moment est venu d’amorcer cette transition.

Votre gouvernement a promis de prendre des mesures exhaustives pour réaliser une transition juste – une Loi sur la transition juste et un « Fonds pour l’avenir » de 2 milliards de dollars pour l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador pour la « diversification économique locale et régionale ». Pour honorer cette promesse, il faut rejeter le projet BdN et travailler en étroite collaboration avec la province, les détenteurs de droits, les syndicats et toutes les parties prenantes afin de mettre en place des programmes de diversification économique, de création d’emplois, de soutien du revenu, d’amélioration des compétences et de recyclage.

La province de Terre-Neuve-et-Labrador est très intéressée par une transition écologique juste, mais investir dans un projet pétrolier comme celui-ci ne ferait qu’accroître la dépendance économique de la province envers l’industrie des combustibles fossiles. Plus précisément, cela reviendrait à lier la croissance future de l’économie de Terre-Neuve à un projet qui ne réussirait pas si nous atteignons nos objectifs climatiques. Le rejet de Bay du Nord est une occasion pour Ottawa de démontrer une vision claire de la protection des travailleurs, des communautés et de notre climat, et doit être accompagné d’un soutien adéquat et d’un financement accru.

Depuis des décennies, les économistes préviennent que le report des mesures climatiques augmente le coût de la transition. Au lendemain d’une année caractérisée par des inondations et des vagues de chaleur sans précédent au Canada, nous devons nous assurer que notre capital financier et politique est déployé pour favoriser l’électrification et le développement économique à faible émission de carbone, et non l’expansion de l’industrie des combustibles fossiles.

L’approbation du projet pétrolier en mer de Bay du Nord relève de la compétence fédérale. Nous vous demandons respectueusement de rejeter la demande d’Equinor pour le projet de production pétrolière offshore Bay du Nord.

Signataires :

Dr. Angela Carter, Associate Professor, Department of Political Science & Balsillie School of International Affairs, University of Waterloo, and member of the Government of Newfoundland and Labrador’s Net-Zero Advisory Council

Dr. Lori Lee Oates, Faculty of Humanities and Social Sciences, Memorial University

Dr. Nicholas Mercer, Postdoctoral Research Scholar, Dalhousie University, and member of the Government of Newfoundland and Labrador’s Net-Zero Advisory Council

Dr. Dean Bavington, Associate Professor of Geography, Memorial University of Newfoundland

Dr. JP Sapinski, Assistant Professor of Environmental Studies, Université de Moncton

Dr. Bradley B. Walters, Professor of Geography & Environment, Mount Allison University

Dr. Eric Pineault, Professor, President of the Scientific Commitee, Institute of Environmental Sciences, UQAM

Dr. Gail Fraser, Professor, Faculty of Environmental and Urban Change, York University

Dr. Atanu Sarkar, Associate Professor of Environmental and Occupational Health, Memorial University

Dr. Ian L. Jones, Professor, Department of Biology, Memorial University

The Social Justice Co-operative of Newfoundland and Labrador

Decarbonize NL

Sisters of Mercy of NL

Grand Riverkeeper Labrador

Council of Canadians – Avalon Chapter 

Canadian Association of Physicians for the Environment – NL

Sierra Club Canada Foundation – Atlantic Chapter

Canadian Association of Physicians for the Environment

Climate Action Network – Réseau action climat Canada

East Coast Environmental Law Association

Stand.earth

Wolastoq Grand Council

WWF-Canada

Climate Emergency Unit

Conservation Council of New Brunswick

Clean Ocean Action Committee

Communities Protecting Our Coasts

Coalition for Responsible Energy Development in New Brunswick

Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec

Sacred Earth Solar

Keepers of the Water Society

Équiterre

Greenpeace Canada

Ecology Action Centre

Environmental Defence

David Suzuki Foundation

Leadnow

Council of Canadians

Council of Canadians – Saint John Chapter

Don’t Frack PEI

Penniac Anti-Shale-Gas Organization

Association québécoise des médecins pour l’environnement

Citizens Climate Lobby Canada

ENvironnement JEUnesse

Seventh Generation Initiative

Nature Québec

New Brunswick Anti-Shale Gas Alliance

Red Head Anthony’s Cove Préservation Association

Women’s Healthy Environments Network

Shift: Action for Pension Wealth & Planet Health

The Climate Reality Project Canada

Wilderness Committee

Action Climat Outaouais

Action Environnement Basses-Laurentides

AmiEs de la Terre de Québec

Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique

Below2C

My Sea to Sky

Canadian Health Association for Sustainability and Equity (CHASE)

Centre de services scolaires des Affluents

Citizen’s Oil & Gas Council

Climate Action for Lifelong Learners

Climate Action Parry Sound

Sierra Club BC

Climate Emergency Institute

Climate Justice Saskatoon

Coalition climat Montréal

Comité des Citoyens et Citoyennes pour la Protection de l’Environnement Maskoutain

Community Matters Toronto

Council of Canadians – Edmonton chapter

Council of Canadians – Fredericton Chapter

Council of Canadians – Kent County Chapter

Council of Canadians – Medicine Hat Chapter

Council of Canadians – North Shore NS Chapter

Council of Canadians – Peterborough and Kawarthas

Council of Canadians – South Shore Chapter

Crooked Creek Conservancy Society of Athabasca

Grand(m)others Act to Save the Planet

Eau Secours

Gaia-Tree I.S.

Environnement Vert Plus

Extinction Rebellion New Brunswick

Extinction Rebellion Québec

Foire ÉCOSPHÈRE

Fondation Rivières

Glasswaters Foundation

Fridays For Future Greater Sudbury

GMob (GroupMobilisation)

Front étudiant d’action climatique 

La Pêche Coalition for a Green New Deal

Laval en transition

Les Amis de la Chicot de Saint-Cuthbert

Lotbinière en transition

Mères au front

Mobilisation Environnementale Ahuntsic Cartierville Montréal

Mouvement écocitoyen UNEplanète

NON à une marée noire dans le Saint-Laurent

Pétroliques Anonymes

Prospérité sans Pétrole

Rapid Decarbonization Group

Regroupement écocitoyen de Sainte-Marthe-sur-le-Lac

Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec

STU Sustainability

Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec

Réseau québécois des groupes écologistes

Salisbury Farmers Market

Science for Peace

Société pour vaincre la pollution – Montréal

Solidarité pour l’environnement Sutton

SOS Forêt du lac Jérôme

Tantramar Alliance Against Hydrofracking

TerraVie

Tofino Natural Heritage

Toronto Raging Grannies

Transition Capitale-Nationale

Zerofootprint

People’s Climate Movement 

La CEVES

Toronto350

Indigenous Climate Action

Nature Canada

West Coast Environmental Law Association

Front commun pour la transition énergétique

Canadian Unitarians for Social Justice

Association québécoise pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne

Climate Justice Montreal